L’IA AU SECOURS DE LA PLANÈTE BLEUE

AI for Tomorrow
10 min readFeb 9, 2023

Utilisation de l’IA pour protéger les Océans et la vie marine

Elise Sainderichin est Customer Facing Data Scientist chez DataRobot. Elle s’appuie sur la plate-forme AI Cloud de DataRobot pour favoriser l’adoption de l’IA et du Machine Learning au sein de grandes entreprises européennes et du Moyen Orient issues d’industries variées: ONG, Service Public, Banque, Assurance, Commerce,…

1. Contexte

Les Nations Unies ont fait de la protection des océans une des priorités des Objectifs de Développement Durable (ODD) dans son Agenda 2030. Souvent oubliés dans les débats pour la lutte contre le réchauffement climatique, les Océans jouent un rôle clé pour la vie sur Terre.

Nos océans abritent non seulement une immense variété de vie marine, ils produisent également la moitié de l’oxygène que nous respirons, régularisent la température de la Terre, et soutiennent la majeure partie de la biodiversité de notre planète.

Le constat est alarmant, élévation des températures de l’océan, acidification de l’océan, désoxygénation, fonte de la couche de glace, changements observés dans l’abondance et la distribution des espèces marines, diminution de la biodiversité marine, ainsi que l’érosion du littoral et les phénomènes météorologiques extrêmes et leurs conséquences sur les communautés insulaires ou côtières. [1] [2]

Les Océans recouvrent 71% de la surface de la Terre, vue du ciel, notre planète est Bleue. Thomas Pesquet le sait mieux que personne et n’hésite pas à nous rappeler l’importance de ce combat. Alors, comment assurer la protection du plus vaste écosystème au monde ?

2. Introduction

Plusieurs acteurs sont impliqués dans la protection des Océans ; des ONG, des gouvernements, des entreprises, des associations et des contributeurs individuels où chaque geste compte. Pour se donner plus de chances d’atteindre les objectifs de développement durable, la Conférence sur les Océans des Nations Unies, ayant eu lieu le 22 Juin dernier, a mis en avant la nécessité de faire appel à des solutions innovantes, fondées sur la science, pour protéger nos Océans.

L’utilisation de l’intelligence artificielle permet d’accélérer la résolution de ce défi en permettant une meilleure connaissance de nos fonds marins, en réduisant la pollution plastique des océans ou encore en limitant les pratiques de pêche illégale.

3. Comment utiliser l’IA

L’utilisation de l’Intelligence Artificielle permet de changer la façon dont nous pouvons protéger nos océans et la vie marine.

Mieux connaître les Océans et la vie marine

Plus de 80% de l’océan reste inexploré et seulement 1/3 des espèces marines sont connues. Les expéditions sont coûteuses, certaines zones des fonds marins sont difficiles d’accès et même dangereuses pour l’homme. Et parce qu’il est difficile de protéger ce que nous ne connaissons pas, seuls 7% environ des océans du monde sont désignés comme aires marines protégées. Utiliser l’IA pour améliorer notre connaissance du monde marin permet de mieux le protéger.

Cartographie des fonds marin et des sédiments

Comprendre le fond de l’océan est essentiel pour les prévisions climatiques et la prévision des géorisques comme les tsunamis, cela permet également une meilleure exploitation des ressources naturelles et d’assurer la sécurité des navires en mer qui peuvent relâcher du carburant lorsqu’ils sont en détresse et créer des dommages irréparables dans des zones déjà sensibles.

L’IA est utilisée pour faciliter le mapping des fonds marins et assurer la sécurité des navires en mer. Elle permet aux scientifiques d’accélérer et de faciliter le travail de cartographie en automatisant une partie du procédé d’identification de point sur des données 3D en distinguant des points appartenant à la surface des océans et ceux appartenant aux fonds marins. L’algorithme a permis de réduire drastiquement le temps de traitement des hydrographes.

Les sédiments du fond marin fournissent une clé inestimable des changements climatiques passés. Des algorithmes d’apprentissage automatique de type SVM ont été utilisés pour recenser les sédiments et créer une carte lithologique digitale des fonds marins. L’utilisation de ces modèles a permis d’identifier et de quantifier un lien entre le type de sédiments présents dans les fonds marins et les propriétés à la surface de l’eau, ce qui permettrait aux scientifiques d’étudier les fonds marins en utilisant des données de la surface de l’océan qui sont beaucoup plus nombreuses et facilement accessibles. Cela conduira à terme à des reconstructions et des prévisions plus robustes du changement climatique et de son impact sur l’environnement océanique.

Connaissance de la vie marine

L’IA peut être utilisée pour mieux connaître la vie marine de façon non intrusive et mesurer l’impact des pressions subies par les écosystèmes marins comme la pêche intensive, la pollution et les changements climatiques et ainsi mieux les protéger.

En Nouvelle Zélande, du Machine Learning est utilisée pour classer automatiquement les espèces de poissons à partir d’images sous-marines.

L’approche permet de compter automatiquement combien de poissons se trouvent dans l’océan pour chaque espèce ciblée, évitant aux scientifiques des heures de comptage manuel devant des vidéos. Cette approche utilise des techniques de Deep Learning, où des réseaux de neurones sont entraînés sur des images labellisées. Disposer d’images labellisées, c’est-à-dire des images sous-marines sur lesquelles les poissons sont identifiés, est un premier challenge auquel les équipes ont dû faire face pour entraîner leur modèle. Grâce à la gamification chacun peut aider à labelliser les vidéos et devenir un Citizen Scientist.

Crédits : Pexels

Agir sur l’eau

La protection de nos Océans passe par des actions concrètes de nettoyage, de contrôle et de réparation directe que ce soit à sa surface ou dans ses profondeurs. L’IA est utilisée pour réduire la pollution plastique qui empoisonne la vie marine, protéger les récifs coralliens connus comme la “forêt tropicale” des Océans ou encore en empêcher la pêche illégale et intensive.

Réduction de la pollution plastique

Parmi tous les déchets en mer, mégots, cotons-tiges, filets et équipements de pêche,…, les déchets plastiques sont les plus répandus. A l’échelle mondiale, on estime qu’entre 9 à 14 millions de tonnes de déchets plastiques sont déversées chaque année dans l’Océan (ce qui représente 85% des déchets marins).

Pour réduire la pollution plastique, pourquoi ne pas directement nettoyer les Océans en les débarrassant des tonnes de déchets plastiques ? Ces opérations de nettoyage peuvent être fastidieuses et coûteuses. Pour permettre d’optimiser le travail d’ONG qui nettoie les Océans, l’IA est utilisée pour identifier les zones optimales de nettoyage où se concentrent le plus les déchets plastiques. Des méthodes de détection d’objet sont utilisées pour cartographier dynamiquement le comportement du plastique flottant à la surface des Océans.

Cette approche permet de prédire où se trouvent les points denses de pollution plastique et de placer les systèmes de nettoyage dans ces zones.

Protection des Coraux

Les récifs coralliens jouent un rôle majeur dans la protection de l’écosystème marin et terrestre, 25% des espèces marines et 500 millions de personnes en dépendent. Ils assurent la protection de nos côtes en absorbant l’énergie des vagues, accueillent une biodiversité unique et contribuent à fournir environ 10% du poisson pêché dans le monde.

Les changements climatiques impactent directement cet équilibre, selon les Nations Unies, 90% des récifs coralliens pourraient disparaître d’ici à 2050. L’augmentation de la température de l’Océan, la pollution des eaux ou une activité intensive de pêche sont à l’origine du phénomène de blanchiment des coraux, si les conditions ne sont pas améliorées alors le corail meurt.

L’IA permet d’identifier les coraux subissant du stress et d’empêcher leur blanchiment. Des scientifiques ont mis en évidence que les sons émis par les coraux en bonne santé étaient significativement différents des sons émis par les coraux malades. L’équipe à développé des modèles de machine learning utilisant des données acoustiques imperceptibles à l’oreille humaine pour classifier automatiquement les enregistrements.

Cette approche a été utilisée pour mesurer l’efficacité d’un site de restauration de coraux en Indonésie.

Limitation de la pêche intensive

La pêche illégale participe à la surexploitation de nos Océans et à la destruction des écosystèmes, elle représente 12 à 28% des captures mondiales. Lorsque les navires utilisent des outils interdits, comme les filets dérivants, ils capturent des requins, des tortues ou des dauphins, détruisent les récifs et ramassent d’énormes quantités de faune aquatique.

Un outil utilisant des algorithmes de machine learning permet aux analystes maritimes d’identifier le comportement suspect des navires et d’alerter les autorités qui peuvent enquêter et prendre des mesures adéquates. Le système émet en temps réel des alertes de suspicions et permet également d’identifier des navires suspectés de faire transiter de la marchandise de façon illégale entre eux.

Crédits : Pexels

Agir sur terre

80 % des déchets présents dans les Océans proviennent de l’intérieur des terres et sont acheminés en grande partie par les cours d’eau selon Surfrider. Les eaux d’égout non traitées, une agriculture intensive ou une activité industrielle sont des sources de pollution.

Réduction de la pollution Agricole

Les engrais agricoles sont responsables de l’augmentation de zones mortes dans les Océans. Ce sont des zones où le taux d’oxygène est trop bas pour assurer le bon développement de la faune et la flore marine qui finissent par s’asphyxier.

Le déversement des phosphates et des nitrates issus des engrais dans les eaux de ruissellements provoquent une accumulation d’algues qui se décomposent ensuite en microbes qui consomment l’oxygène. C’est un phénomène tristement connu en Bretagne où les agriculteurs n’hésitent pas à faire appel à des solutions innovantes pour diminuer l’utilisation d’engrais chimiques.

Eureden, groupe Agricole Breton, réduit de 70% l’utilisation de produits phytosanitaires pour leur récolte grâce à l’utilisation d’un pulvérisateur qui capture en temps réel les images des champs et à l’aide d’IA, classifie automatiquement ces images pour ensuite régler automatiquement la quantité d’herbicides, fongicides, insecticides et engrais à pulvériser.

Réduction de la pollution industrielle

L’Océan absorbe près de 30% des émissions de CO2 sur Terre, mais ce processus d’absorption entraîne une acidification du milieu marin qui menace la faune et la flore.

Notamment pour les crustacés et les coraux dont la coquille et le squelette sont faits de carbonate de calcium qui se dissout dans les eaux acides.

Oyak Cement est l’industrie leader de production de ciment en Turquie, ils utilisent des modèles de Machine Learning pour réduire leur émissions de CO2. Ils ont multiplié par sept l’utilisation de carburants alternatifs, réduisant de près de 2% leur émission totale de CO2.

Réduire la quantité de plastiques présents dans nos Océans peut se faire directement à la source de la production Industrielle. L’analyse prédictive peut aider à réduire les déchets plastiques en adaptant les niveaux de production de marchandises à la demande entrante. Les besoins des clients peuvent évoluer rapidement, laissant les entreprises avec des produits excédentaires qui peuvent expirer avant utilisation. L’IA peut réduire ce gaspillage en prédisant ces changements.

Harris Farm Markets en Australie prédit la demande de produits à l’aide de modèles de séries temporelles afin de réduire le gaspillage et la production de plastique. Ils ont déployé 400 modèles de machine learning leur permettant des prévisions plus précises et une meilleure capacité de gestion des stocks périssables.

4. Limitations et défis

Disponibilité de la donnée

Utiliser l’IA dans des nouvelles technologies nécessite de disposer de suffisamment de données pour entraîner des modèles de machine learning afin d’assurer des résultats fiables et cohérents. Le premier enjeu est donc de créer ces bases de données d’entraînement via la collecte de données et cela passe par des méthodes et technologies diverses. Dans les différents exemples mentionnés plus haut d’utilisation de l’IA pour protéger les Océans, les données proviennent de sources variées, comme d’images satellites ou sous-marines, de capteurs comme l’acoustique, des données temporelles de ventes de marchandises, etc.

Ensuite, une fois que les scientifiques disposent de la donnée, il faut encore l’annoter, c’est-à-dire manuellement labelliser une partie des données pour servir d’exemple d’entraînement à nos modèles. Et cette tâche peut être fastidieuse et prendre des mois voire des années et ralentit considérablement les travaux de recherches des scientifiques. Afin d’accélérer cette tâche de labellisation des données, les scientifiques font appel aux citoyens volontaires pour manuellement classifier des images ou des vidéos par exemple, c’est le cas du projet Spyfish Aotearoa qui fait appel à des Citizen Scientists pour identifier les poissons sur des extraits de vidéo

L’IA pollue !

L’IA consomme de l’énergie car elle repose sur le traitement massif de données sur lesquelles des calculs sont appliqués en parallèle ce qui nécessite une forte puissance de calcul et de stockage.

Certaines techniques d’IA sont plus énergivores que d’autres. Dans un article de 2019, l’Université du Massachusetts évalue la consommation en CO2 d’un modèle de Deep Learning pour le traitement naturel du langage (NLP) à cinq fois celui du cycle de vie complet d’une voiture. Le récent algorithme d’OpenAI, dont on a beaucoup entendu parler en ce début d’année, ChatGPT, fait partie de techniques de Deep Learning pour le traitement du langage, c’est une prouesse technologique, mais qui consomme et pollue ! Un article a estimé l’empreinte carbone quotidienne de l’exécution de ChatGPT à 23,04 kg de CO2.

5. Conclusion

L’IA a le potentiel de jouer un rôle majeur dans la protection des Océans et la préservation de la vie marine. De la surveillance et de l’identification des menaces à la prévision et à la prévention de la pollution, les technologies alimentées par l’IA peuvent aider à la détection précoce et la gestion plus rapide de risques et dommages causés aux Océans. L’IA peut être utilisée dans la préservation et la conservation des Océans en apportant une meilleure connaissance de son écosystème et de sa géographie permettant aux scientifiques d’exploiter des informations aujourd’hui inaccessibles.

Malgré la puissance de l’IA, les scientifiques ont besoin de l’aide de citoyens volontaires pour enrichir les bases de données afin de fournir des modèles de meilleure précision. Notons également que l’utilisation de l’IA doit se faire de façon responsable, en appliquant des règles de sobriété car la puissance de calcul nécessaire à certains algorithmes consomment et pollue.

La collaboration entre les experts de l’IA et de la conservation des océans pour maximiser les avantages de l’IA tout en minimisant les impacts négatifs s’avère donc cruciale.

Resources additionnelles

Liens vers des ressources ou des organisations travaillant sur l’utilisation de l’IA pour protéger l’océan

https://agupubs.onlinelibrary.wiley.com/doi/epdf/10.1002/2015GL065279

https://pubs.geoscienceworld.org/gsa/geology/article/43/9/795/131939/Census-of-seafloor-sediments-in-the-world-s-ocean

https://www.wildlife.ai/spyfish-aotearoa-combining-machine-learning-and-citizen-science/

http://www.biologiemarine.com/jmodoc/ETAT%20DE%20LOCEAN.pdf

https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/oceans/

https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1470160X22004575

https://www.coralguardian.org/les-coraux-importants/

Elise Sainderichin

Customer-Facing Data Scientist chez DataRobot

Elise est Customer Facing Data Scientist chez DataRobot. Elle s’appuie sur la plate-forme AI Cloud de DataRobot pour favoriser l’adoption de l’IA et du Machine Learning au sein de grandes entreprises européennes et du Moyen Orient issues d’industries variées: ONG, Service Public, Banque, Assurance, Commerce,…

Avant DataRobot, Elise a travaillé comme Consultante Data Scientist pendant plus de 5 ans. Au cours de cette période, elle a été Head of Data Science d’une société de conseil, à la tête d’une équipe de 25 Data Scientists.

Elise est titulaire d’un Master en statistique et économétrie de la Toulouse School of Economics et, dans ses temps libres, aime lire, cuisiner et voyager.

@elise.sainderichin@datarobot.com

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